Il y a un peu plus d’un mois et demi, j’ai débarqué au Japon pour y vivre pendant un an. Le PVT Japon en poche, un billet d’avion, deux-trois boulots et plans de housesitting, des idées de voyage, le sac à dos rempli de vêtements pour l’hiver, un guide de voyage et un manuel de japonais dans les mains… il ne m’en fallait pas plus pour penser que j’étais prête pour l’année à venir. Après tout, je n’ai jamais besoin de grand chose de plus pour me lancer à l’aventure et vers l’inconnu. Je n’ai jamais connu le choc culturel, le vrai, jusqu’à ce que je débarque au Japon pour la seconde fois.
Je ne me souviens pas si bien que cela de mon premier voyage au Japon. C’était il y a deux ans et demi, lors de mon tour du monde. J’étais en deuil et je me rends compte que je n’ai pas trop réalisé ce qu’il se passait autour de moi. Si l’on me demande comment j’ai trouvé le Japon, je réponds que c’était super. Était-ce à la hauteur de mes rêves? Je ne sais pas, je ne sais plus. Je me souviens des retrouvailles avec des amis, de beaucoup de nourriture, de jolis temples, du silence des villes, du soleil et de la simplicité de la vie à la campagne. Je me souviens de ce voyage comme un tourbillon flou qui s’évanouit peu à peu de mon champ de vision. Je me souviens de ces moments de solitude, enfermée dans des appartements sombres à avaler des sashimis et des kit-kat au thé vert. Je ne voulais pas sortir, j’étais épuisée, je travaillais, je regardais des séries. J’étais en deuil, je me retrouvais pour la première fois face à celui-ci après avoir passé plusieurs mois en compagnie de différents amis, mais je pense que le choc culturel au Japon était aussi de la partie. Bref, je ne le saurais jamais vraiment.
Je n’ai pas eu le temps de me préparer psychologiquement à ce second voyage. J’avais rêvé de faire le PVT Japon, c’était le moment où jamais. Tout juste revenue d’un périple en Indonésie et d’un an en Argentine, j’ai fait les papiers à la va-vite, les formalités habituelles et je suis partie. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir, de me poser, de savoir vraiment ce que je faisais ou ce que je voulais faire. Je partais en PVT au Japon pour un an. Pour le reste, on verrait après. Complètement décalée, épuisée et malade, j’ai atterri dans la belle ville de Wakayama, où j’ai savouré quelques jours paisibles. Le voyage commençait sous de bons auspices et j’étais aux anges.
Et puis, j’ai pris l’avion pour Tokyo. Dans le train qui m’emmenait à mon auberge, je me demandais où j’avais atterri. Les premiers jours et les premières semaines se sont écoulés ainsi, dans une sorte d’ahurissement permanent. Je n’étais pas heureuse, je n’étais pas excitée, j’étais juste complètement perdue et je ne savais pas si je voulais rester au Japon. Je me revois dans le métro, moi, mes cheveux rouges et mon manteau rouge, comme une tâche de sang dans une marée humaine noire. Je revois ces regards gênés et inquisiteurs posés sur moi, ces gens qui parfois s’écartaient pour ne pas être en contact avec moi. Je sens les regards qui me suivent quand je marche dans la rue, seule ou avec les chiens que je garde. Je me revois dans les allées des supermarchés, ne sachant pas décrypter quoi que ce soit ou trouver la farine. Je me vois dans les cafés, restaurants et magasins, tentant de me glisser dans de touts petits espaces. Dans le métro encore, à me prendre systématiquement les barres en me levant. Je regarde les gens autour de moi, je les observe et je ne comprends pas. C’est le rush hour et c’est comme dans les vidéos diffusées sur Internet: le staff pousse les gens à l’intérieur des wagons. Le soir, on est encore comme des sardines et les gens ne se tiennent pas. Ils dorment debout, ils me dorment dessus, ils se tombent les uns sur les autres et cela ne gêne personne. D’autres fixent l’écran de leur téléphone en permanence, même en marchant. Je vois beaucoup de visages tristes, surtout dans les bars, où des âmes solitaires semblent noyer leur chagrin. Je vois la solitude, l’individualisme, la perversion et le consumérisme. Je vois le silence, je peux presque le toucher tant il est omniprésent. Je vois un Tokyo vide la nuit. Au marché de Noël, pas un bruit, pas de musique, pas de rires, pas d’odeur de vin chaud ou de nourriture. Au marché de poissons, cela ne sent pas le poisson. Tout est propre, tout est parfait, tout est carré. Même les Japonais. Et moi, je suis juste un chaos ambulant. Mes fringues sont trop grandes et je ne pourrais pas en acheter ici (j’ai essayé), mes cheveux partent en vrille, j’ai des cernes, je souris trop, je rigole et j’éternue trop fort, je me mouche, je mange en marchant, je fais plein d’erreurs de savoir-vivre sans m’en rendre compte. J’enlève mon pull, je suis en T-shirt et je fais fuir un Japonais dans un bar. J’essaye de me conformer un peu, de faire attention, mais je ne le veux pas vraiment tout au fond de moi. Je sais que j’ai tort, je fais des efforts, j’essaye d’être plus tolérante, de comprendre. Je suis étrangère et c’est à moi de m’adapter. Je suis un éléphant qui a oublié comment être un caméléon. Et je dois apprendre à nouveau. Je salue bas, je m’excuse, je dis merci et ma vendeuse de légumes se moque de moi. Je ne sais toujours pas trop pourquoi. D’autres impairs, d’autres erreurs, d’autres moments de déprime. Ai-je fait une erreur en venant vivre ici? Dois-je partir? Pas encore, je veux laisser la chance à mon rêve de s’épanouir. Je n’arrive pas à creuser, à trouver l’âme de Tokyo, cette ville qui ne me parle pas. J’ai l’impression d’être dans un parc d’attractions géant et silencieux ou dans le Truman Show. Dans une autre dimension, tout simplement. Dans Lost in Translation. J’ai l’impression que mon mode de vie, ce que je suis et ce en quoi je crois sont l’antithèse de la société japonaise. Je me force à sortir, à faire des choses, à voir du monde, mais je ne suis pas heureuse. Je ne suis pas malheureuse non plus, mais il manque quelque chose. J’ai passé ces trois dernières années à vivre à fond, à vivre mes rêves et à être heureuse. C’est un niveau de bonheur assez indescriptible, un bonheur entier, complet, palpable. Celui que je cherche et que je rencontre en voyage. A Tokyo, il n’est pas là et j’ai l’impression de retrouver l’ancienne moi. Parfois, il est là, heureusement. Je me souviens du coucher de soleil sur la plage à Odaiba, de celui depuis le Park Hyatt, de notre excursion à Yokohama, de moments paisibles dans les temples, de la traversée de Shibuya à travers la foule, des moments où je prends de la hauteur, de ces instants où je fais abstraction de tout le reste, de soirées hors du commun avec des amis… Mais la plupart du temps, j’ai l’impression que Tokyo me transforme de la pire des manières.
Aujourd’hui, cela va beaucoup mieux et je suis heureuse de découvrir le Japon et d’apprendre de nouvelles choses chaque jour. Je sais aussi que Tokyo n’est pas la ville de mes rêves, ne me convient pas et fait ressortir en moi une personne que je n’aime pas. Je ne suis pas prête à laisser tomber mon rêve et je vais voyager en dehors de Tokyo pour voir ce qu’il en est vraiment. Le premier choc culturel au Japon passé, je suis prête à voir ce que la suite amènera. L’ancienne moi aurait adoré le Japon et tout ce qu’il a à offrir. La nouvelle moi a beaucoup changé. Venir vivre ici après l’Amérique du Sud, après l’Argentine est un très grand défi et le choc culturel en est encore plus grand. J’aime celle que je suis devenue et je ne veux pas retourner dans une boîte, dans un modèle de conformité parfait. Je veux être bruyante, rire à gorge déployée, chanter, danser, faire la bise à mes amis, éternuer, vivre. Je veux m’habiller de rouge et de broc et être heureuse à en mourir. Je veux sourire dans la rue, je veux sourire et parler à des inconnus, je veux vivre intensément chaque jour.
Copyright : Sarah Dawalibi du Blog de Sarah
Je pars à Okinawa dans quelques jours et j’ai hâte. Hâte de découvrir le Japon hors de Tokyo, hâte de vivre les aventures qui m’y attendent et hâte de vivre enfin mon aventure japonaise, sans me retenir ou sans changer. J’espère qu’ils ont la place pour un éléphant comme moi dans les îles. Un éléphant à peau de caméléon saura peut-être mieux se fondre dans un environnement tropical, moins citadin.
PS: Ceci est le récit de mon choc culturel au Japon et de mon expérience personnelle, lors de mes deux premières semaines à Tokyo. Je me sens désormais beaucoup mieux, même si j’ai encore beaucoup d’interrogations. Il s’agit d’un récit subjectif et d’impressions à chaud, sans jugement, si ce n’est sur ma propre capacité d’ouverture d’esprit. Il faut également être bien conscient que voyager quelques semaines dans un pays, et essayer de trouver une place dans la société d’un pays dans lequel on vit est bien différent. Je n’ai pas encore trouvé ma place au Japon, mais je compte bien continuer d’essayer.
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