Méloë
Dernier jour de travail au kibbutz, avec Eleonore, une québécoise rencontrée sur place. On a littéralement fini dans la benne à ordures, suite à un pari stupide.

Discussion avec Méloë, expatriée en Israël

Méloë
Dernier jour de travail au kibbutz, avec Eleonore, une québécoise rencontrée sur place. On a littéralement fini dans la benne à ordures, suite à un pari stupide.

Bonjour Méloë, je suis ravie de t’accueillir sur Voyages et Vagabondages. Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Bonjour Lucie, merci de m’avoir invitée ; bonjour tout le monde. Alors, je m’appelle Méloë (c’est bien mon vrai prénom), j’ai 24 ans (ce qui me déprime profondément), j’aime voyager, le bleu, le thé, les cheveux longs, le XIXème siècle anglais et je suis étudiante en archéologie (préhistoire en anthropologie biologique) à Jérusalem. A mes heures perdues, je blogue sur Le boudoir. J’y parle essentiellement de mes lectures, parfois aussi de films ou de séries télévisées, d’infos que j’ai grappillées lors de mes pérégrinations sur le net. C’est un endroit qui me ressemble tout simplement.

Tu vis en Israël depuis quelques années déjà. Qu’est-ce qui t’a amené là-bas ? Etait-ce un rêve d’enfant ?

Je viens d’entamer ma troisième année passée en Israël. Arrivée par curiosité, pour prendre une année pour réfléchir à ce que j’avais vraiment envie de faire, je n’ai tout simplement pas eu envie de repartir tout de suite. Ca n’était pas du tout un rêve de gosse. J’ai toujours eu envie de partir, bien sûr, mais pas spécialement en Israël. Cette destination était juste l’achèvement logique de mes années passées à l’INALCO, en licence d’hébreu moderne. Licence dans laquelle je m’étais inscrite sur un pur coup de tête, après le bac. Rien ne me prédestinait à cela, à part une passion pour les langues vivantes. Je me suis réveillée un matin avec cette évidence : je devais apprendre l’hébreu. Aujourd’hui, je ne sais toujours pas d’où m’est venue cette idée folle, mais je ne la regrette pas un instant !

Coucher de soleil sur la ville moderne, Jérusalem
Coucher de soleil sur la ville moderne, Jérusalem

Quelles ont été tes premières impressions à l’arrivée dans le pays ?

A la descente de l’avion : « Mais dans quelle galère me suis-je embarquée ? ». Puis dans le taxi, me conduisant vers Jérusalem, je regardais le paysage défiler, l’Ipod sur les oreilles. Je me souviens d’une seule chanson sur cette heure de trajet : Un jour parfait de Calogero. J’avais déjà écoutée cette chanson des milliards de fois, sans qu’elle ne me touche particulièrement mais à ce moment-là, elle m’a parlé et j’ai réalisé qu’en fait, j’étais pile là où je voulais être, que c’était le début d’un truc énorme, dont je ne savais pas bien où il me mènerait, mais que j’avais terriblement envie de vivre.

L’adaptation n’a pas du être facile. Aurais-tu quelques conseils pour les futurs expatriés ?

En fait, je n’ai pas souvenir de réels soucis.  Je n’ai jamais vraiment été « dépaysée » car à ce moment-là, j’avais déjà fait quelques séjours dans le pays. Et puis j’ai la chance de pouvoir immédiatement m’adapter à un nouvel environnement, un peu comme ces plantes que l’on met en terre un peu n’importe où et qui finalement prennent racine, se développent sans soucis, quelles que soient les conditions.

Le mont des oliviers, les murailles de la Vieille ville et le Dôme du Rocher, vus depuis le Mont Scopus
Le mont des oliviers, les murailles de la Vieille ville et le Dôme du Rocher, vus depuis le Mont Scopus

Si j’avais un conseil à donner, ce serait de préparer son projet à l’avance, bien sûr,  mais sans être un maniaque du détail. De toute façon, rien ne se passera comme prévu ! Il ne faut pas avoir peur de se battre pour certains trucs, comme obtenir un visa étudiant, mais surtout être capable de réagir au quart de tour, pouvoir s’adapter. Et surtout, surtout fuir les groupes de son pays d’origine. Ca peut sembler rassurant, une solution de facilité au début, mais le risque est de se laisser enfermer, et de finalement seulement déplacer son petit univers, sans réellement vivre ce nouveau pays. Mais j’imagine que ces conseils sont valables n’importe où. Sur ce point, Israël n’est pas vraiment différent des autres destinations.

T’es tu bien intégrer à la vie locale et avec les locaux ? Comment y es-tu parvenue ?

Les premiers temps ont été un peu difficiles, par ce que je ne suis pas naturellement quelqu’un de très sociable. J’aime la solitude, et j’ai beaucoup de mal à nouer des liens durables avec les gens. En fait, j’ai eu les mêmes difficultés que si j’étais arrivée dans n’importe quelle nouvelle université de France. Ma grande chance a finalement été de n’avoir aucun préjugé sur le pays, aucune idée arrêtée. Je voulais découvrir et comprendre. Et puis, j’ai toujours fait l’effort de parler en hébreu, même au début, même quand je bredouillais misérablement et que je me demandais ce que j’avais bien appris pendant ma licence, même quand il m’aurait été beaucoup plus simple d’utiliser l’anglais. Les gens ont apprécié cet effort, et le fait que je ne les juge pas, que je n’arrive pas en énonçant de grandes théories sur la paix ou la façon de gérer le pays.

Tu as déjà mentionné avoir vécu dans un kibbutz. Pourrais-tu nous parler un peu de cette expérience ?

Sanctuaire et jardins Bahais, à Haifa
Sanctuaire et jardins Bahais, à Haifa

J’ai séjournée deux fois en kibbutz. Je suis partie la première fois, au terme de ma première année de licence. Je voulais pouvoir découvrir le pays, faire du tourisme mais pas seulement. Je ne supporte pas les vacances où l’on reste à se prélasser de plage en hôtel pendant 15 jours. J’ai toujours besoin d’être physiquement engagée dans quelque chose. Je voulais aussi rester suffisamment longtemps sur place, mais je n’avais pas non plus un budget énorme. Et puis, si j’ai tendance à être un vieil ours grincheux et solitaire, je voulais tenter au moins une fois dans ma vie, l’expérience de la vie en communauté. Cela semble presque utopique dans notre monde actuel, de travailler sans toucher de salaire, seulement les biens matériels nécessaires pour vivre. J’avais tout parfaitement prévu dans les moindres détails pour ce premier séjour… sauf le fait que 2 jours après mon arrivée, la guerre éclate (NB : c’était en 2006)… Je n’ai pas songé un seul instant à rentrer en France (ce qui vous donne un petite idée de mon caractère, j’imagine). J’étais venue, je resterai. Ce fut une expérience très intéressante, parce que si je n’ai pas un instant craint pour ma vie, j’ai découvert ce que cale signifiait concrètement pour un peuple, la guerre : la peur de voir parents et amis appelés au front, devoir précipitamment tout abandonner… On envisage les choses différemment après cela.
La deuxième fois, je voulais simplement revoir certaines personnes, et ma petite vie bien rangée recommençait à m’ennuyer.
Dans les deux cas, j’ai énormément apprécié mes séjours. Ce sont eux qui m’ont ensuite donné envie de venir m’établir sur place pour une plus longue durée. Le kibbutz, c’est vraiment une expérience très sympa, qui permet de découvrir le pays de l’intérieur, de pouvoir jouer au touriste tout en rencontrant les gens, en apprenant pour quelques temps un métier.

Voyages-tu beaucoup dans le pays ? As-tu des coins particuliers à recommander aux voyageurs ?

Grâce à la fac, j’ai effectivement pas mal bougé dans le pays. Entre les visites de sites, les exercices de terrains, et les chantiers, je commence à en avoir une bonne vision d’ensemble. J’ai une affection toute particulière pour le désert. J’aime sa rudesse, sa simplicité, la façon dont il nous remet à notre place au sein de l’ordre de la nature. Il correspond bien à mon côté ermite. C’est une expérience à tester au moins une fois dans sa vie. J’aime aussi beaucoup les bords du lac de Tibériade. C’est un coin vraiment joli, à condition de préférer sa rive orientale, beaucoup plus sauvage. Après il y a les grands sites, comme la Mer morte, expérience inoubliable, malgré la profonde laideur des plages ; Massada si vivante et puis c’est une telle récompense d’arriver enfin sur ce plateau après avoir parcouru le chemin du serpent (par pitié, ne prenez pas le téléphérique !). Je n’aime pas Tel-Aviv, trop bobo, sale et à la chaleur moite oppressante. Jérusalem est à découvrir bien sûr, mais pas pour les « lieux saints » qui sont tellement assaillis de touristes et commerçants qu’ils en ont perdu tout sens du sacré. Ce qu’il faut découvrir, c’est la Jérusalem actuelle, avec sa diversité d’habitants, se perdre dans le dédale des rues, s’arrêter pour parler avec les gens…Je suis archéologue pourtant, mais il y a un poème que je trouve très juste, que j’aime beaucoup de Yehuda Amihai :

Un jour, j’étais assis sur les marches
près d’une porte à la Tour de David
J’avais posé mes deux lourds paniers à mes côtés.
Un groupe de touristes entourait
leur guide et je devins leur point de repère.
Vous voyez cet homme avec les paniers ?
Juste à droite de sa tête, il y a une voûte datant
de l’époque romaine. Juste à droite de sa tête.
Mais il s’en va, il s’en va !
Je me suis dit : la délivrance ne surviendra que si
leur guide leur dit : Vous voyez cette voûte datant de
l’époque romaine ? Ce n’est pas important, mais à côté,
à gauche, un peu vers le bas, un homme est assis
qui a acheté des fruits et légumes pour sa famille.

Mais comme j’aime quand même les vieilles pierres, un truc génial à visiter à Jérusalem, c’est le tunnel d’Ezechias, dans la Cité de David: un étroit boyau de 530m de long, creusé en -701 pour amener l’eau potable à l’intérieur de la ville. L’eau y court toujours, et on fait donc le trajet dans 70cm à 1m d’eau, simplement éclairé d’une lampe de poche. C’est unique !

Piste dans le desert du Negev
Piste dans le desert du Negev

As-tu voyagé dans les pays autour et qu’as-tu aimé ou non ?

Mon visa étudiant ne me permet pas de sortir du pays. Et puis, le problème est qu’avec un visa israélien, même pendant les vacances d’été, pas évident de visiter les pays alentours… En tant qu’étudiante, je suis obligée de faire tamponner mon passeport et c’est aussi un choix de ne pas cacher où j’ai séjourné (oui, j’ai un caractère assez « salé »), mais si vous venez juste visiter le pays, et que vous souhaitez rester libre de vos mouvements par la suite, je vous conseille de demander à ce que le visa soit appliqué sur une feuille volante.

Si tu devais citer deux choses qui te font aimer le pays et deux choses qui te dérangent, quelles seraient-elles ?

Ce que j’aime : le côté méditerranéen : climat, paysages, nourriture.
La diversité des cultures qui se mêlent, et du coup la grande acceptation de l’autre. On vous jugera beaucoup plus sur vos actes que sur votre physique / style ou vos paroles.
Ce que je n’aime pas : le côté méditerranéen : le machisme ambiant et l’impossibilité de traverser certains quartiers sans se faire siffler ou que chaque voiture qui passe ne s’arrête, même quand vous êtes habillées plus que décemment.
Pas tant la situation politique que le fait qu’il est pratiquement impossible d’en dialoguer calmement à l’étranger. Le fait que dès que j’évoque mon séjour, mon interlocuteur qui n’a pourtant jamais mis les pieds sur place, se sente bien mieux informé que moi sur la situation et me traite au choix de terroriste/fasciste/… C’est justement un truc que j’apprécie énormément chez mon meilleur ami : on se raconte des bouts de nos vies, via FB ou MSN, mais il n’aborde jamais ce sujet avec moi, parce qu’il n’a rien à dire.

Bien sûr, dès que l’on évoque Israël, on lie le pays à des questions politiques et conflits qui font la une de l’actualité. Comment cela affecte-t-il ton quotidien ? Comment est-ce ressenti par la population locale ? Qu’imagine la population pour l’avenir de son pays ?

On assimile très vite deux choses à ce sujet quand l’on s’installe dans le pays.
Premièrement, le fait que d’ un côté, la situation est ce qu’elle est, aucun moyen de l’oublier, entre les contrôles de sécurité, les destructions quotidiennes de colis suspects, les attentats qui surviennent malgré tout, les jeunes qui non seulement donnent deux à trois ans de leur vie au service militaire ou au service civil, sont appelés, un mois par an, comme Réservistes, jusqu’à 45 ans. Mais de l’autre, la vie ne s’arrête pas pour autant ! Les gens ne se lamentent pas sur leur sort, mais sortent, s’amusent, se marient, ont des enfants…vivent tout simplement, comme n’importe où ailleurs.
La deuxième chose, c’est que dans cette histoire, il n’y a pas de bons et de méchants. Je n’ai personnellement, jamais pris parti pour un camp en particulier. Je juge les actes, leurs causes, pas les groupes. C’est courant, et les puissances influentes (quelles qu’elles soient) l’encouragent, tout le monde se définit en “je suis pro-tel ou tel côté” et pourtant, un tel choix implique l’impossibilité, la non acceptation d’une solution pacifique et équitable pour tous. Moi je suis pour les êtres humains et la vie, telle que je continue de la découvrir au quotidien. Tout comme je ne crois pas à une solution à deux Etats. Elle n’est pas envisageable, jamais elle ne sera acceptée, car jamais elle ne sera juste. Et puis, ce serait vraiment à désespérer de l’espèce humaine s’il fallait en venir à une telle extrémité ! Ce pays est riche des diverses populations qui le composent et l’ont formé depuis la nuit des temps (ça y est, la préhistorienne est de retour) et ces populations vivent au quotidien très bien ensemble, malgré ce que montrent les médias. Tout tourne mal lorsque justement arrive la séparation, qu’elle soit provoquée par des questions politiques ou de fanatisme religieux (et il y en a malheureusement un sacré paquet dans le coin, de fanatiques religieux, et de tous bords : pour l’anecdote : je me suis vue refuser l’accès à une église que je souhaitais visiter, en dehors de tout office, parce que mes bras étaient découverts jusqu’au coude !). Je crois en un seul grand Etat, dans lequel chacun aurait sa place, ce qui est loin d’être utopique quand on voit comment cela fonctionne de manière tout à fait naturelle à petite échelle.
Je crois, en fait, surtout qu’il faut arrêter de définir ce pays par rapport à ce problème. Il est bien plus riche que cela !
Quant au peuple, eh bien…il vit…tout simplement ; et il se débrouille pas trop mal tout seul. Il aimerait aussi assez que les Occidentaux se croient obliger de venir régler la question à sa place à coup de grandes théories. Quant à l’avenir… agissons d’abord pour aujourd’hui ; l’avenir lui-même nous montrera où il nous mène.

Quels conseils donnerais-tu aux voyageurs voulant visiter Israël ?

Negev-détail
Negev, détail

Arriver, avec l’esprit ouvert, peut-être plus encore que pour n’importe quel autre pays. Laisser ses idées toutes faites sur la situation du pays, en France. Parler aux gens, observer et admettre qu’il n’y a peut-être pas de solution, mais que cela n’empêche pour autant pas la vie de suivre son cours.
Ne pas avoir peur, la situation est bien moins dramatique que ce que l’on peut voir dans les médias. Si le pays vous attire, alors n’hésitez pas un instant ! Vous ne trouverez peut-être pas ce que vous étiez venus cherchez, mais je peux vous garantir que vous ne serez pas déçu !
Ne pas hésiter à rester assez longtemps, même si techniquement, en 1 semaine, on peut avoir « tout vu », à cause de la taille du pays. Il faut prendre le temps de s’imprégner de l’ambiance, de connaitre les gens. Venir en Israel, c’est voir sa vision globale de la vie et du monde, changer.

T’imagines-tu rester vivre dans le pays ? Pourquoi ?

Clairement non. En réalité, je m’y sens suffisamment bien pour pouvoir techniquement y vivre une vie entière, mais j’aime trop voyager, découvrir de nouveaux horizons, pour envisager de passer toute ma vie au même endroit. Et puis, dès que je commence à m’attacher à un lieu, des gens, j’ai terriblement besoin de fuir car c’est un sentiment que je n’arrive pas à gérer, que je rejette car il m’entrave et m’affaiblit (je suis légèrement sociopathe et claustrophile sur les bords, mais je le vis très bien). C’est pour cela que j’ai quitté la France, c’est pour cela que je ne vivrais pas toujours ici.

D’autres projets de voyages à l’horizon ? Des projets d’expatriation ?

J’aimerais visiter l’Afrique : faire une sorte de « pèlerinage » sur tous les sites où ont été découverts les plus anciens fossiles de primates, c’est vraiment un truc qui me fait rêver. J’aimerai aussi visiter New-York, parce que cette ville est mythique, Washington (pour les collections du Smithsonian), le Québec et l’Islande pour découvrir le grand froid, après avoir testé la vie dans un pays chaud.
J’aimerai vivre un temps au fin fond d’un état du sud profond des Etats-Unis, et au Royaume-Uni : Londres pour quelques temps, mais surtout l’Ecosse qui me fait rêver depuis que je suis gamine. Je suis d’ailleurs en train de réfléchir à ces possibilités pour mon futur master.
En fait, si certaines villes me tentent, j’ai surtout envie de grand espaces, de nature à perte de vue.
Mais avant tout cela, pour l’instant, j’avoue aspirer à rentrer en France, me poser quelques temps, faire le point sur ces trois années pendant lesquelles je n’ai pas pris de vacances, revoir quelques lieux qui comptent pour moi, et mieux me préparer à repartir…

Une question que j’aurai oublié de poser, mais qui te semble importante ?

Je ne vois pas…Merci de m’avoir invitée chez toi. J’ai beaucoup aimé répondre à ces petites questions et j’espère ne pas avoir été trop bavarde…Et bon vent à tous les voyageurs qui passeront par ici !

Merci Méloë pour ces réponses, je crois que l’on a tous beaucoup appris en te lisant, qu’il y a matière à réflexion et que l’on a tous envie maintenant de partir maintetant en Israël, si ce n’était pas déjà le cas…

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