Coucher de soleil à York

Faire son deuil en voyage et la peur de la perte en voyage. 4 ans sans toi.

Voilà 4 ans que tu es partie, maman. Je fêtais mes 27 ans dans une communauté japonaise au Paraguay, lorsque j’ai lu cet email qui a changé ma vie. Je suis rentrée en urgence, du fin fond du Paraguay. Mon hôte m’a conduite à la frontière avec le Brésil, puis jusqu’à l’aéroport d’Iguazu. J’ai pris un vol pour Sao Paulo, un autre pour Paris, un autre pour Bordeaux. Pour moi, c’était la plus longue journée d’anniversaire de ma vie… elle n’en finissait pas. Je n’ai pas réalisé que nous n’étions déjà plus le 10 février, depuis bien longtemps, quand je me suis écroulée sur le sol de l’aéroport de Bordeaux à l’annonce de ton décès.

Chaque année, j’ai tenté d’écrire cet article, mais je n’y arrivais pas. Je n’ai d’ailleurs toujours pas écrit ce chapitre dans mon livre en cours d’écriture non plus.  4 ans plus tard, alors que je viens tout juste de fêter mes 31 ans et que la neige tombe à gros flocons sur la Suisse, je refais une tentative, car j’ai besoin d’écrire ces lignes, de sortir ce texte de ma tête et car je crois que cela peut aider certains d’entre vous, mais les larmes coulent déjà à grands flots. 4 ans sans toi, 4 ans à faire mon deuil en voyage, 4 ans à vivre chaque jour comme si c’était le dernier, pour toi, pour moi, pour la vie.

Coucher de soleil à York - Faire son deuil en voyage et la peur de la perte en voyage

Faire son deuil en voyage

Une fois la cérémonie terminée, les gens repartis, le mois en France s’est vite écoulé. Si j’étais restée, j’aurais sombré. Je le sais aujourd’hui et je sais que j’ai fait le bon choix de repartir un mois plus tard en tour du monde, avec le soutien de mes proches. Cela n’a pas été facile. Les larmes venaient tout le temps, je m’enfermais dans une bulle solitaire le plus souvent possible, mais je prenais la force dans la nature et dans les souvenirs. Pour être tout à fait honnête, ma conception de la vie est une force et me permet d’avancer bien plus facilement, mais cela ne s’est pas fait en quelques semaines, ni en quelques mois.

J’ai atterri à Santiago, où j’avais loué un appartement, pour être seule quand je le souhaitais, et ne pas avoir à gérer les crises de larmes dans le dortoir. De Santiago, cette fois-là, je n’ai quasiment rien vu. Je regardais des films, je pleurais au lit, j’appelais mon papa au téléphone et je réapprenais petit à petit à être seule, en voyage, et à vivre avec ce vide. Je suis montée au Cerro San Cristobal pour admirer la vue sur Santiago, et devant cette immensité et cette sublime vue, j’ai repris goût au voyage, j’ai pensé à ma maman et j’ai souri.

Quoi de mieux que la nature de Nouvelle-Zélande pour me guérir, pour m’aider dans mon deuil. C’était ma destination suivante et j’avais mis en place quelques collaborations pour le blog, ce qui me forcerait à avancer, à continuer. Ce furent trois beaux mois et demi dans un fabuleux pays, où la force et la beauté de la nature m’ont aidée. Un peu comme l’Autriche et l’Irlande du Nord. On sous-estime souvent la nature, la mer et la montagne et leur pouvoir guérisseur, ou tout du moins apaisant.

J’ai passé beaucoup de moments, assise face à la mer ou à une vue sublime, à contempler la beauté du monde, à tout détailler pour en emporter un petit bout avec moi. Je ne crois pas en la réincarnation ou en un quelconque dieu, mais ces moments-là étaient pour toi maman, pour que toi aussi tu vois cette nature et la beauté du monde, que tu rêvais de découvrir, mais dont tu n’as pas eu le temps. Je pensais beaucoup à cette injustice aussi et je suis heureuse d’avoir été en voyage pour contrer ces pensées noires. Le monde est si injuste, la vie est si éphémère, alors parfois, on se dit à quoi bon… Mais heureusement, le voyage et ses merveilles étaient là pour me sauver.

De la contemplation à l’action… j’ai passé beaucoup de moments à vivre intensément en Nouvelle-Zélande, à vivre mes rêves et les tiens. J’ai sauté à l’élastique plusieurs fois. J’en rêvais, tu en rêvais et chaque saut était un hommage à toi et à tes rêves. La vie est courte et c’est maintenant qu’il faut la vivre, quelques soient les risques et les conséquences (dans la mesure du raisonnable bien sûr, je ne suis pas kamikaze tout de même).

Et puis, il y a eu le rapport à l’autre. Souvent, j’avais besoin d’être seule et de m’assommer à coup de films et de séries, de pleurer en regardant des histoires, pour passer mon chagrin et mes larmes à travers un autre prisme. Je me retrouvais embarrassée devant certains voyageurs, car je n’avais pas envie d’en parler, mais je ne savais pas trop comment expliquer que j’étais en France il y a quelques semaines. Toutes ces questions naturelles en voyage, qui me faisaient mentir, me gênaient: « Quand étais-tu en France la dernière fois? » « Tu voyages depuis combien de temps? » « Tu étais où pour ton anniversaire? » « Tes parents habitent où? » Encore aujourd’hui, je parle souvent de mon papa… ce qui amène toujours la question « et ta maman? » J’arrive mieux à y répondre, mais c’est comme un petit coup de ciseaux dans le coeur à chaque fois, une blessure qui se réouvre et se referme. Heureusement, j’ai aussi rencontré de belles âmes sur les routes de Nouvelle-Zélande et avec elles, avec eux, je me suis tout de suite sentie à l’aise et je leur ai tout raconté. Le nombre de voyageurs et de voyageuses dans la même situation que moi ou dans une situation similaire m’a marquée. Faire son deuil en voyage n’est pas chose rare. Parfois, cela a aussi du bon de changer de villes tous les deux ou trois jours, de recommencer à zéro, de rencontrer de nouvelles personnes qui ne savent pas, qui ne vous regardent pas avec un regard de pitié. On entre dans un monde, où le deuil n’existe pas, on l’oublie l’espace de quelques instants ou de quelques jours peut-être, et cela fait du bien. Anonyme, dans une ville, je marche sans parler à personne, sans rencontrer personne et je me crée une bulle, rien qu’à moi. Il y a des moments où je ne voulais pas être définie par mon deuil, où je voulais être une voyageuse anonyme, et d’autres moments où j’avais besoin d’en parler. Et le voyage offre cette flexibilité, de pouvoir être qui on souhaite un jour donné et quelqu’un d’autre le jour suivant…

Après cela, j’ai enchaîné les destinations et retrouver des amis un peu partout. Sydney, l’Indonésie avec Sarah, Hong-Kong, le Japon, la Chine, l’Asie du Sud-Est. Après des mois de solitude recherchée en Nouvelle-Zélande, je n’étais plus vraiment seule et je passais du temps avec des gens qui me connaissaient ou de longs moments avec des voyageurs qui apprenaient à me connaître. Ils savaient, je pouvais en parler si j’en avais envie, mais nous pouvions continuer de voyager, de s’émerveiller et de sourire, de vivre, sans que le sujet ne revienne sur le tapis constamment. C’était alors la liberté totale de faire mon deuil à mon rythme.

De coucher de soleil en randonnées, de cascades en points de vue, de volcans en temples, à pied ou au volant, de la mer à la montagne, en ville et à la campagne, seule ou entre amis, en dansant et en chantant, en musique ou en silence, je faisais mon deuil en voyage et tu faisais partie de moi, pour toujours.

Et puis, le temps du retour est venu, pour les fêtes de cette année-là. Le retour a été rendu encore plus compliqué. D’une certaine manière, mon deuil était devenu réel et je ne pouvais plus le repousser dans un coin de ma tête, si je souhaitais une pause. Je ne pouvais le nier. Je ne pouvais plus imaginer que tout cela n’était qu’un rêve absurde. Lorsque l’on est loin, on ressent moins cette absence, car l’absence de tous est quelque chose à laquelle on s’est habitué. Je suis seule, ma famille est au bout du monde, on s’écrit, on s’appelle, mais je vis l’absence au quotidien. Au retour, ils sont tous là. Sauf elle. Son absence, je l’ai vu en atterrissant à l’aéroport. Elle n’était pas là. Je l’ai vu pendant les fêtes, dans les yeux et le coeur de ma famille. Je l’ai senti, dans nos rires. Il manquait un ton, il manquait son rire de cochon. Je l’ai vu dans nos jeux, dans le quotidien. Je l’ai vu en repassant dans tous ces lieux qui ont marqué notre enfance. Mon ancien village, mon ancien collège, mon ancien club de karaté, l’hôpital… tous ces lieux, où elle était passé. Tous ces gens qu’elle avait connu. Toutes ces choses qu’elle avait faites. C’est en restant là, au retour, que son absence était devenu intolérable et que j’ai pris la mesure des choses.

Le temps guérit tout, ou tout du moins panse les blessures. J’ai passé quelques mois dans ma région d’enfance. Je suis partie, je suis revenue. Je suis partie à nouveau, je suis revenu plusieurs fois. J’ai refait des fêtes en famille, j’ai revu des gens qu’elle connaissait, je suis repassée dans ces lieux de mon enfance et cela va mieux. Mais je crois plus que tout, que faire mon deuil en voyage m’a aidée à accepter le fait inéluctable que je ne la verrais plus, qu’elle ne verrait pas qui je suis devenue et que je ne la connaîtrais pas en tant qu’adulte. Si je publie un jour un livre, elle ne le lira pas. A chaque rêve que je réalise, elle ne le sait pas. A chaque retour, elle n’est pas là. Et l’absence sera toujours là, comme une maladie chronique, comme un membre amputé, comme un grain de beauté. Heureusement qu’il y a la mémoire, les souvenirs, les photos et tous ces gens qui l’ont connu.

La neige tombe à gros flocons ce matin et je la regarde tomber depuis mon balcon. Petites choses uniques et éphémères, métaphore de la vie et de l’humain, je pense à toi en me réveillant ce matin, maman. La vie est un flocon de neige, beau et éphémère. J’ai 31 ans. J’ai l’impression d’être passée de l’autre côté, du côté de la trentaine et que les jours passent de plus en plus vite. Alors, je vais continuer à vivre à fond, malgré les obstacles et les difficultés, car je ne sais pas quand mon flocon ira tomber sur le sol, mais je veux que le vol dans les airs en vaille la peine et je veux continuer à flotiller gaiement, comme s’il n’y avait pas de lendemain, comme si mon flocon faisait un dernier saut à l’élastique.

Je ne suis en aucun cas psychologue et je n’ai d’ailleurs aucune connaissance à ce sujet. Je ne peux vous conseiller de partir en voyage ou non, pour faire votre deuil. Je souhaite juste vous dire que cela m’a aidée à me reconstruire, à retrouver un sens à ma vie et à faire mon deuil plus en douceur. Il y a des avantages et inconvénients à être en voyage, mais je n’ai aucun regrets et ce choix a défini la personne que je suis devenue. Aujourd’hui, quand je suis en voyage et que je découvre un nouveau lieu merveilleux, j’ai toujours une petite pensée pour elle. Lorsque je marche des heures durant, je pense toujours à elle et comme cela, elle fait partie de ma vie, et sa mémoire vit en voyage avec moi.

A lire pour aller plus loin:

Interrompre un tour du monde… et repartir
Faire son deuil à l’autre bout du monde
Voyager pour guérir

La peur de la perte en voyage

Croyez-moi, vous n’êtes pas seuls et tous les voyageurs à qui j’ai parlé de ce sujet m’ont confirmé avoir cette peur aussi. Je ne pensais pas que cela pouvait m’arriver, je ne pensais que cela n’arrivait qu’aux autres ou que dans les films, que les coups du destin dramatiques n’arrivaient pas comme cela dans la vraie vie. Et puis, la vraie vie m’a prouvée le contraire. Aujourd’hui, dès que je reçois un appel non prévu, un message à une heure improbable, j’ai peur. Je dois vivre avec cette peur constante de la perte et j’apprends à la gérer du mieux que je le peux.

Pour autant, vos proches ne souhaiteraient pas que vous arrêtiez de vivre pour cela. Tout peut basculer d’un jour à l’autre, demain ou dans dix ans et rien ne peut le prédire. Au contraire, lorsqu’on voit à quel point notre vie peut changer du tout au tout, que ce soit par un décès, un autre événement, une blessure, la maladei, on ne peut pas s’arrêter de vivre. La vie est mortelle, quoiqu’il arrive, et c’est maintenant qu’il faut vivre. Il faut vivre intensément, chaque jour comme si c’était le dernier. Il faut tout faire pour réaliser ses rêves maintenant et pas demain. On ne sait pas combien de temps on a. Ma maman a  seulement eu 49 ans. Il y a trois mois, je me suis blessée bêtement et l’espace d’une minute, j’ai cru que j’étais paralysée. Alors, je ne veux pas attendre, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut se passer.

Hier, j’ai fêté mes 31 ans. J’étais seule pour mon anniversaire, pour la première fois de ma vie. Pas d’amis, pas de famille, pas d’inconnus. Juste moi, un chat et deux octodons et cela ne m’a pas dérangée. J’ai vécu une belle journée pour moi, sans chichis. On attache beaucoup trop d’importance aux dates, aux événements marquants, à tous ces moments qui soi-disant doivent compter. Je n’ai jamais attaché beaucoup d’importance aux dates, à Noël ou aux autres cérémoniels, que la société nous impose. Si je vivais une vie normale en France, à Paris ou à Londres, je rentrerais peut-être deux fois par an voir ma famille, quelques week-ends peut-être, une poignée de semaines en tout. Aujourd’hui, je rentre voir ma famille à coup de plusieurs semaines d’affilée et au final mon papa me voit bien plus que si je venais le voir en week-end de temps en temps. Il me voit plusieurs semaines, voire mois d’affilée (je dois d’ailleurs le souler parfois). Alors, oui je manque et je manquerai des dates qui, soit-disant, comptent. Mais l’important n’est-il pas plutôt de faire compter le temps que l’on a, comme si c’était les derniers moments, plutôt que d’attacher de l’importance à des fêtes fabriquées?

Alors non, cette peur vous ne pourrez sans doute pas la balayer et j’espère que vous n’aurez jamais à vivre cela. Mais l’important est de vivre maintenant, intensément, d’être heureux et que chaque seconde, seul ou avec vos proches, compte.

A ma maman,

Lucie

PS: quelques lignes écrites l’année dernière, le 10 février 2017, alors que je fêtais mes 30 ans à Okinawa, au Japon.

10 février 2017

Je fête mes 30 ans au Japon, à Okinawa, le berceau du karaté Goju-Ryu. Je vis au Japon cette année et je réalise mon premier rêve, mon plus grand rêve. Je parcours les plages paradisiaques, je croise des karatékas à tout les coins de rue, je découvre un lieu encore plus passionnant que je ne l’avais imaginé. Elle aurait approuvé. Elle est partie, il y a trois ans jour pour jour. Elle aurait aimé venir à Okinawa, pratiquer le karaté ici elle aussi, fêter mes 30 ans avec moi autour d’un awamori. La vie est cruelle et en a décidé autrement, mais cet anniversaire à Okinawa est en ta mémoire, Maman. Je n’ai réalisé cela qu’en atterrissant ici, mais c’est l’endroit où je dois être aujourd’hui, pour toi.

2024. 10 ans sans toi. Et tant de chemin parcouru pour moi. Je parle de ce deuil, de ces années sur la route et de deuil et d’un début de guérison dans L’Envol, mon premier livre, un mémoire et récit de guérison intuitif et poétique.


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